Témoignage : Mon histoire avec le bilinguisme : 3ème Partie

Maman d’un garçon de 4 ans et d’une petite fille de 2 ans, j’ai fait le choix d’instaurer un bilinguisme précoce franco-arabe avec mes enfants.
Je continue donc, sur cette troisième partie de cette série d’articles témoignages, en vous donnant plus de détails sur les différentes étapes que nous avons traversées dans ce voyage assez enrichissant mais assez tumultueux quand même.

Je vous avais parlé, sur la première partie, de ma petite histoire personnelle avec la langue arabe, de mon arrivée en France, de ma rencontre avec mon mari et des premières questions que nous nous sommes posées par rapport au bilinguisme de nos enfants.
Sur la deuxième partie, j’avais abordé, entre autres, la gestion du double objectif qui découle de ma volonté que mes enfants maitrisent à la fois la langue arabe littéraire et le dialecte marocain. 

Si vous avez raté ces 2 articles n’hésitez pas à jeter un coup d’œil avant de poursuivre.

Dans cette partie, je choisis de vous parler de quelques étapes clés de ce voyage et de leurs conséquences sur le bilinguisme de mes enfants. En l’occurrence, la garde chez l’assistance maternelle et les visites chez le pédiatre.

Les premiers mois

Mes enfants ont été gardés exclusivement à la maison jusqu’à l’âge de 9mois pour mon fils et 6 mois pour ma fille. Pendant ces premiers mois, ils ont eu très peu d’interaction avec la langue française. Ces interactions se limitaient aux visites chez le pédiatre et aux quelques amis français qui pouvaient nous rendre visite de temps à autre.

De notre côté, comme nous somme tous les deux arabophones et que l’arabe est notre langue maternelle à tous les deux, nous avons décidé, après de longues discussions avec mon mari, et comme je vous ai expliqué dans le précédant article, d’utiliser uniquement la langue arabe à la maison.

Avec nos amis arabes en France

J’étais un peu la « fanatique » de la langue arabe…

Nos amis arabes habitant en France ont été priés d’utiliser uniquement la langue arabe avec les petits. Je faisais souvent le gendarme pour reprendre les gens quand ils commençaient à leur parler français et je me faisais beaucoup taquiner pour cette raison par mon mari qui pensait que j’étais un peu la « fanatique » de la langue arabe et que quelque phrases en français de temps à autre n’allaient probablement pas mettre en péril tout le système.

Mais dans ma tête c’était très clair : la rigueur est de mise en attendant que mes enfants deviennent des bilingues confirmés, qu’ils fassent une distinction nette entre les deux langues et aussi associent les endroits et les personnes à chacune des deux langues. Hors de question de venir les embrouiller avec des phrases mélangées franco-arabes par exemple.

D’ailleurs, maintenant que mon grand a complètement intégré la différence entre les deux langues et leurs contextes d’utilisation, je suis beaucoup moins exigeante par rapport à cet aspect. Mais cela je vous en parlerai plus tard.

La garde chez l’assistante maternelle

Une appréhension légitime

Après cette première phase où mes enfants étaient exclusivement à la maison, j’ai dû faire appel à une assistance maternelle pour garder mes enfants pendant la journée.

Mon enfant va désormais passer la majeure partie de sa journée à être exposé à la langue française.

Il va de soi que cela a été difficile pour moi de faire intervenir une personne extérieure pour la garde de mes enfants. Surtout pour la première fois, où l’expérience est toute nouvelle et l’assistante maternelle complètement étrangère à mes yeux, l’appréhension était à son maximum.

A cette appréhension un peu standard, venait se rajouter une difficulté liée à la gestion du bilinguisme. En effet, imposer une langue à son bébé quand il est à la maison est une chose relativement facile. De toute façon, dans cette configuration, son environnement se limite à nous et on est capable de choisir les langues auxquelles il va être exposé et aussi la durée de cette exposition.
Tout cela sera amené à changer avec cette nouvelle configuration.

Mon enfant va désormais passer la majeure partie de sa journée à être exposé à la langue française. Il se fera de nouvelles connaissances et se rendra compte que pour se faire une place dans ce petit monde qui s’ouvre à lui, rien ne vaut une bonne communication en français.

Une assistante maternelle arabophone?

On aurait pu à ce moment-là penser à faire appel à une assistance maternelle arabophone, pour remédier à cette diminution nette de l’exposition de nos enfants à la langue arabe. Mais ce n’était pas du tout notre état d’esprit.

Pour ces raisons, notre choix s’est porté sur une assistante maternelle complètement francophone.

Tout d’abord, nous voulions choisir notre assistante maternelle exclusivement par rapport à ses méthodes éducatives et leur compatibilité avec notre vision de la chose.
Mais surtout, on ne voulait pas choisir une assistance arabophone pour deux raisons.
La première est que nécessairement une assistance maternelle arabophone en France, va au mieux utiliser un mélange des deux langues arabe et française. Je ne pouvais en aucun lui demander de parler exclusivement l’arabe avec mes enfants. Sachant que c’est exactement ce mélange de langues que je cherche à éviter à mes enfants à cet âge, jusqu’à ce qu’ils aient des limites biens définies dans leurs têtes entre les deux langues.
La deuxième raison, et c’est la plus importante, consistait en le fait que je croyais dur comme fer qu’il faut offrir à mes enfants un environnement, bien séparé de l’environnement familial arabophone, où ils peuvent être exposés à la langue française de façon à ce qu’ils développent un bilinguisme équilibré, ce qui facilitera grandement l’entrée à l’école.

Une expérience enrichissante

Pour ces raisons, notre choix s’est porté sur une assistante maternelle complètement francophone. Je lui ai expliqué auparavant mon objectif quant au bilinguisme de mes enfants, qu’il y aura probablement une phase où ils mélangeront les deux langues et que cela impliquera forcément une séparation d’apprentissage de langues entre les deux foyers.

De son coté, elle vivait, elle aussi, cette expérience pour la première fois.

Cette expérience a été très enrichissante pour nous deux. En effet, nous avons remarqué qu’après une phase de quelques mois où les enfants mélangeaient effectivement les langues, ils ont compris bien avant l’âge de 18 mois où et avec qui ils devaient parler chacune des deux langues.

J’ai souvent eu avec mon assistante maternelle de longues discussions sur le bilinguisme et sur les capacités fascinantes des enfants bilingues à dissocier les deux langues. De son coté, elle vivait, elle aussi, cette expérience pour la première fois, et était très volontaire pour me faire des retours détaillés par rapport à ce sujet.

Jusqu’à l’âge de 3 ans, nous avons été complètement rassurés par rapport à l’instauration du bilinguisme chez les enfants. En effet, d’un côté, je voyais les enfants continuaient leur acquisition de la langue arabe à la maison, et de l’autre, j’avais de très bon retours de la part de l’assistante maternelle quand à leur maitrise progressive de la langue française.

Je me dis toujours que cela aurait été peut-être plus difficile si mes enfants étaient gardés dans une crèche, mais je ne peux pas en avoir la certitude. D’ailleurs, j’ai vu tout de suite avec la rentrée à l’école que ce n’était pas du tout le même fonctionnement, et qu’il fallait s’accrocher très fort pour ne pas changer ses résolutions ou bien juste se remettre en cause. Mais ça je vous en parlerai plus tard.

je voudrais d’abord aborder avec vous une étape intermédiaire, qui peut paraitre anodine mais, qui dans mon cas a été quand même une sorte de montagnes russes de sentiments : Les visites chez le pédiatre…

Les visites chez le pédiatre

Pour mon fils :

Mon premier contact avec les institutions françaises, en ce qui concerne le bilinguisme de mes enfants, s’est fait pendant les visites chez le pédiatre de mon fils ainé.

En effet, à la visite des 18 mois et de 24 mois, les pédiatres auront tendance à vouloir vérifier l’atteinte de l’enfant du jalon linguistique correspondant à ces âges afin de déceler un possible retard de langage.

Il n’a pas non plus oublié de noter sur le dossier de mon fils que le test linguistique n’est pas concluant et qu’il y a possiblement retard.

Les jalons linguistiques :

Les jalons linguistique peuvent être définis de plusieurs façons, dont la façon suivante :
De 13 à 18mois : le bébé « doit » :

  • être capable d’utiliser environ 5 différents mots pour désigner des personnes ou des objets,
  • comprendre qu’un mot peut être utilisé pour un élément (par exemple, chien pour chien et non chien pour chaque animal),
  • comprendre et répondre à des questions et instructions simples, même si non verbalement.

De 19 à 24 mois, le bébé « doit »  :

  • avoir un nombre croissant de mots qu’il utilise pour communiquer (à partir de 30-50 mots),
  • être capable d’associer des sons à des objets (par exemple des bruits d’animaux à l’animal),
  • commencer à rassembler 2 ou plusieurs mots (plus de pomme),
  • nommer les objets communs et quotidiens qui l’entourent (nourriture, personnes, animaux).

Retard linguistique?

En ce qui concerne mon fils ainé, cette vérification de jalons linguistiques s’est très mal passée.  Le pédiatre a commencé à vouloir tester l’association mots/images de mon fils en lui présentant plusieurs images et en lui demandant de désigner par exemple l’image du canard. En voyant mon enfant designer des images erronées, j’ai compris qu’il n’avait pas encore assimilé le mot « canard » en français.
J’ai entrepris donc d’expliquer au pédiatre le bilinguisme franco-arabe instauré pour mon enfant, et j’ai proposé de traduire la consigne en arabe pour vérifier l’acquisition du langage de mon petit. Le pédiatre m’a répondu sèchement que lui ne parlait pas arabe et qu’il veut vérifier l’acquisition de la langue française et non pas de la langue arabe. Il n’a pas non plus oublié de noter sur le dossier de mon fils que le test linguistique n’est pas concluant et qu’il y a possiblement retard.

Des pédiatres pas biens formés au bilinguisme

J’espère que vous avez compris de suite, que le commentaire du pédiatre est complètement déplacé. Je pourrais vous en parler plus tard sur un article dédié, mais en résumé, je peux vous dire que le retard du langage ne dépend pas du choix de la langue, que si retard il y a, il sera présent pour toutes les langues parlées par l’enfant et que donc il suffit de démontrer l’absence de retard sur une seule langue pour justifier les facultés linguistiques d’un enfant.
Cet épisode avec le pédiatre a été assez compliqué à vivre pour moi. Pas que la note mise par le pédiatre sur le dossier médical de mon enfant ait beaucoup de valeur à mes yeux. Mais comme je vous l’ai déjà dit, nous parents, quand on fait un choix pour nos enfants en terme d’éducation, nous avons l’impression de risquer gros et souvent nous ne sommes pas sûrs de nous, car nous sommes clairement en train d’improviser en quelque sorte, vu que personne ne nous a « formé » pour être parents.  Alors des fois, il suffit d’une simple question malvenue, ou d’un commentaire déplacé, pour qu’on passe des jours et des jours à ruminer, et à se remettre en question.

Inutile de vous dire que ce fut la dernière fois où je vois ce pédiatre.

Pour ma fille :

Au moment où je vous écris ces lignes, je viens juste de faire la visite de 2ans chez le pédiatre pour ma petite.
Pendant cette visite médicale, le pédiatre a montré à ma fille quelques images en lui demandant de les nommer, j’ai eu tout de suite une petite appréhension car ce sont des images que nous avons l’habitude de travailler en arabe à la maison. Je me préparais donc à devoir traduire les réponses de ma fille, et à réexpliquer au pédiatre notre situation bilingue.
Ça ne s’est pas du tout passé comme cela au final, ma fille, telle une championne, a nommé toutes les images en français, j’étais tellement fière, tellement soulagée de voir que nous avons gagné cette petite manche.
Je pense que le pédiatre n’a pas trop compris pourquoi j’étais tellement fière. Je pense qu’elle n’avait aucunement conscience du fait que je découvrais au même moment qu’elle les capacités bilingues de ma fille, et surtout cette intelligente surprenante qui fait qu’elle ait choisi le français au lieu de l’arabe pour cette situation précise.

…j’étais tellement fière, tellement soulagée de voir que nous avons gagné cette petite manche.

Chaque expérience bilingue est unique

Comme vous l’avez vu plus haut, je n’avais pas expérimenté la même chose chez le pédiatre avec mes deux enfants.
En effet, mon fils n’a pas été exposé au français de la même façon que ma fille. Tout d’abord parce qu’il n’a été gardé chez l’assistance maternelle qu’à partir de l’âge de 9mois. Mais surtout, parce qu’avant ses 18 mois, juste au moment où je sentais qu’il était à l’apogée de sa période sensible du langage, nous avons dû restés confinés chez nous pendant quelques mois à cause du Covid. Il n’a donc pas pu développer un bilinguisme équilibré pendant les 2 première années de sa vie.

Vous voulez la suite?

Je pensais pouvoir vous parler tout de suite de l’entrée à l’école, mais ça devra attendre la 4ème partie de ce témoignage. Alors restez connectés 🙂

Si vous avez aimé l'article, vous êtes libre de le partager :)

Laisser un commentaire